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Tony, un "payo" parmi les gitans

PORTRAIT. Alors qu'aucun enfant gitan ne poursuit l'école après le collège, Tony Ximenez fait figure d'exception. Résidant dans le quartier gitan de Saint-Jacques à Perpignan, il est scolarisé au lycée depuis deux ans. Tiraillé entre sa passion pour l'école et le poids des traditions gitanes, il a du faire son choix.

Tony n'est pas seulement un bon élève, passionné d'anglais et de littérature. Si Tony avait été seulement un bon élève, il ne serait pas allé plus loin que le collège. Si Tony avait été seulement un bon élève il serait probablement marié à l'heure d'aujourd'hui, peut être avec des enfants. Il sortirait le soir avec ses amis dans les rues du quartier et viendrait tout juste de rejoindre les statistiques des jeunes gitans de 18 à 25 ans, dont 90 % n'a pas de travail. En réalité, le jeune homme possède plus de caractère que n'importe quel bon élève. Ce jeudi midi, il a mangé rapidement chez lui avant de rejoindre le centre-ville de Perpignan. Le jeune homme a la silhouette fine et les cheveux noirs rasés sur les côtés. Tony pousse timidement la porte d'un café dans le centre-ville de Perpignan. « Je ne suis pas habitué », finit-il par avouer après que la serveuse ai finalement réussi à lui faire choisir sa commande, un thé glacé. Avec son pantalon bleu façon dandy parisien et une boucle d'oreille argentée à l'oreille gauche, Tony oscille entre la dégaine d'un adolescent sage et le look d'un jeune rappeur à la mode. Passionné de danse, le jeune lycéen a le physique d'un adolescent ordinaire, mais lorsqu'il parle, ce sont avec les mots d'un adulte.

Il est un des seuls à avoir quitté les rues de Saint-Jacques pour venir prendre un verre dans un café du centre-ville. Le seul de son quartier aussi à avoir réussi à continuer sa scolarité après le collège, alors qu'aucun enfant du quartier âgé de plus de 13 ans ne poursuit l'école.Tony est gitan, vit avec ses parents, ainsi que quatre frères et sœurs au cœur de Saint-Jacques, le plus gros quartier gitan de Perpignan. Institutrice, sa grand-mère lui a inculqué les valeurs de l'école. Tony n'est pas peu fier de porter son nom : « Dans la famille, l'école est importante. Ma mère a été scolarisée jusqu'en 3e». Jusqu'à 12 ans, il est inscrit avec les autres enfants gitans. À l'inverse de ses parents, Tony n'a pas connu l'école mixte, avec les autres enfants de la ville. Il est de la génération de la Miranda. Depuis 2006, la Ville et la Préfecture ont mis en place une expérimentation unique en France en créant une école spécialement gitane. Très vite, Tony devient un des meilleurs de sa classe. Ses années à l'établissement de la Miranda, il en garde même un très bon souvenir. « Les professeurs étaient tous gentils, tout le monde s'entendaient bien. J'ai appris à lire et à écrire comme dans n'importe quelle autre école », assure le jeune homme. À l'école, Tony ne se séparait pas de Marc, son meilleur ami.

« L'école est un moyen de m'échapper »

Vient alors le temps du collège. Hors de question pour Tony, d'intégrer les « classes spéciales gitanes », dans lesquelles sont scolarisés la plupart des enfants de Saint-Jacques. « Je voulais être avec les autres jeunes de la ville, je ne comprenait pas pourquoi je ne pouvais pas », se souvient-t-il.

Avec l'aide de ses professeurs, il réussit à convaincre le collège de l'intégrer dans une classe mixte. « Nous étions trois gitans, dont Marc », se rappelle le lycéen. Toujours inséparables, les deux amis découvrent l'autre monde, celui des « payos », ceux qui ne sont pas gitans, qui ne parlent pas catalan entre-eux. Pour lui, qui a passé les douze premières années de sa vie avec uniquement des jeunes de son quartier, c'est un choc. Tony ne réussit pas à s'intégrer. Hors du cocon de la Miranda, l'adolescent est perdu. « J'avais toujours été proche de mes professeurs, c'était difficile », avoue Tony, dont la situation illustre le problème de l'intégration des enfants gitans dans les écoles mixtes. Sa famille ne l'aide pas, au contraire. « Mes parents ont commencé à avoir peur, car ils voulaient que je reste avec les autres enfants gitans ». Au même moment, la plupart de ses amis se déscolarisent. La pression du quartier est trop forte. Après seulement deux semaines, le collégien décide de quitter sa classe et d'intégrer celle des gitans. Son ami Marc s'accroche, mais finit lui aussi par accepter la scolarité dans la classe spécialisée. « Dans ma famille, comme à l'école, personne ne m'a soutenu ». Tony peut quand même compter sur sa grand-mère, institutrice à la Miranda, et sur sa tante. Le jeune homme connaît néanmoins un véritable retour en arrière. « Le niveau dans les classes gitanes est beaucoup plus faible En 6e, on effectuait le programme de CM2». Ajouté au fort taux d'absentéisme, Tony s'ennuie et à la rentrée de 5e, il redemande sa scolarisation en classe mixte. Dans le petit village gitan, tout le monde se connaît. L'intérêt de Tony pour les chiffres et les lettres commence à faire jaser. « Des adultes me disaient : « tu sais lire et écrire maintenant, pourquoi aller plus loin ? » » Mais pour le jeune homme passionné de danse et de littérature, le goût d'apprendre est plus fort que tout. « J'adore l'école, c'est un moyen de m'échapper ». Cette fois-ci, il doit non seulement faire face au refus de sa famille, mais aussi à celui du collège, qui hésite à lui faire confiance. Il lui faut multiplier les discussions avec la principale du collège, Madame Leroy, pour qu'elle accepte de le soutenir. « Elle a beaucoup fait pour moi ». Ses parents refusent de se rendre aux rendez-vous. « Ils avaient peur », affirme Tony. Mais peur de quoi ? Le lycéen attend, hésite et finit par se lancer avec un sourire convenu : « je peux le dire, de toute façon aucun gitan ne va lire ». Il poursuit : « les gitans craignent l'instruction, car celà représente la réflexion. Être instruit, c'est penser comme un « payo » (un non-gitan ndlr ). Dans la communauté gitane, il faut rester gitan. L'instruction ouvre la porte à un autre monde et ça, ce n'est pas bien vu ».

L'école devient alors un sujet de disputes continuelles entre Tony et ses parents. Mais le jeune homme à une devise : « quand on veut on peut. Je me le suis répété autant de fois que j'ai pu ». Devant le rejet de sa famille, il prépare même une fugue « À l'époque, je voulais faire une école de stylisme, rien ne m'arrêtait ».C'est finalement la directrice du collège en personne qui se déplace chez lui et qui réussit à convaincre son père. Ce sera la dernière fois que Tony ratera l'école. Acharné, il a continué d'étudier jusqu'à son entrée au lycée Aristide Maillol, en première littéraire option catalan, à Perpignan. Dans les rues de Saint-Jacques, tout le monde connait son prénom. Pour tous, il est le gamin différent des autres.

Par contre, pour les professeurs et intervenants de la Miranda, c'est une exception, une démonstration de réussite, qui n'a pourtant pas eu de répercussion chez les autres adolescents.

« C'est le seul qui a eu du courage. D'autres étaient aussi intelligents que lui, mais ils n'ont pas réussi à se défaire du carcan de la communauté », lance amèrement un de ses anciens professeurs.

Sur la route du lycée il a laissé derrière lui son meilleur ami Marc, qui n'a pas été plus loin que le collège. Puis tous les autres, qu'il n'aperçoit plus que dans les rues de Saint-Jacques. Il plaint ses quatre frères et sœurs, surtout son petit frère, Ruben, un passionné de mathématiques qu'il n'a pas réussi à convaincre de continuer. « Il s'est senti seul et a eu peur dès l'arrivée à la 6e ». Tony connait bien le fonctionnement de l'école. Elle a failli le laisser une fois. Mais il a appris que son quartier ne souhaitait pas forcément changer les choses.

« Personne ne nous oblige à aller à l'école. Pourtant, la déscolarisation est interdite en France ». Tony s'arrête, il en a un peu trop dit. « J'ai un défaut, je suis beaucoup trop naïf », confie l'adolescent. Accroché à sa paille, il réfléchit un peu puis sort sans aucune naïveté : « Il y a beaucoup de choses interdites qui sont transgressées à Saint-Jacques, ça ne choque personne. Pourtant ce n'est pas normal. Je trouve que nous sommes trop assistés », tranche l'adolescent.

La Grèce Antique

Le lycéen est conscient qu'il risque d'être exclu de sa communauté, de devenir un « payo ». Ses parents continuent chaque année d'essayer de le convaincre d'arrêter l'école. « C'est triste de me dire qu'il faut en arriver là, mais si je pars, je sais que je quitterai définitivement ma famille. Mais si être gitan se résume à penser comme le reste de la communauté, je refuse. Pourtant que je le veuille ou non, je suis gitan ».

À l'école Tony a étudié l'histoire. Ses cours lui ont inspiré une comparaison poétique: « je trouve que les gitans fonctionnent comme en Grèce antique. Il y a une place publique où sont exposées les règles de la cité. Ici à Saint-Jacques, il y a une place où tout se décide », explique Tony en faisant référence à la place du Puig, le centre symbolique du quartier gitan. Cependant, le jeune homme termine sa phrase. « La Grèce antique n'existe plus». Fin de la comparaison. Entre les traditions de sa communauté et son avenir, le jeune homme a fait son choix depuis longtemps. Il rêve de devenir danseur, s'est renseigné pour les bourses. C'est certain, il montera à Paris, il connait une amie là bas. Une gitane qui a réussi. Une autre exception. En attendant, il veut finir son lycée et commencer une licence d'anglais, sa deuxième passion. Pas le temps de de rêver de l'avenir, Tony vient de regarder l'heure sur son téléphone portable. En deux mouvements, il embarque son sac de sport sur son dos et file dans le centre-ville de Perpignan, suivre son cours de modern-jazz. Encore un pas de plus qui le sépare du monde des gitans. « Lachto drom » : en langue gitane, l'expression signifie « bonne route ».

Marie Demeulenaere


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