Les Catalans défient leur Histoire
REPORTAGE. Le 9 novembre dernier, plus de deux millions de catalans se sont rendus aux urnes pour se prononcer sur l’indépendance de la Catalogne. Une revendication économique, mais pas seulement. À Perpignan, l'enjeu est aussi historique. La capitale de la « Catalogne du Nord » est un symbole pour les catalans espagnols qui ont fuis le Franquisme dans les années 1940. Reportage à Perpignan.
À l’entrée de la rue Fusterie de Perpignan, un drapeau catalan rouge et or décore l’entrée de la Casa Generalitat. Inauguré en 2003, le bâtiment est devenu le lieu symbolique de la communauté catalane de tout le département des Pyrénées-Orientales. Mais en ce dimanche 9 novembre, les discours symboliques d’indépendance ont, pour la première fois, fait place au vote. Plus de 500 catalans sont venus à Perpignan pour donner leur voix en faveur de l’indépendance de la Catalogne. « La rupture entre la Catalogne et Madrid n’a jamais été aussi proche », lance un des bénévoles présents. Depuis quelques semaines, les partisans de l'indépendance se retrouvent tous ici, dans une grande pièce aux murs blancs décorés des photographies de la Retirada, dont certains clichés célèbres sont signés par Robert Capa. Des images en noirs et blancs qui témoignent d’une période sombre de l’histoire de l’Espagne pendant laquelle près de 500 000 espagnols ont fui la dictature de Franco. Des familles entières se sont alors réfugiées dans les Pyrénées-Orientales, dans des camps de fortunes construits sur la côte du Roussillon. Dans la file d’attente, l’émotion a gagné tous les âges. « C’est un vote exorcisant », assure José, la quarantaine. Ses papiers à la main, ce fils de réfugiés sort de la Casa Generalitat en souriant. Mais d’autres ne peuvent pas retenir leurs larmes. « C’est un pas important, le premier jamais franchi depuis la chute de la dictature de Franco », continue Joan-Lluis, un des membres de la Casa Generalitat en charge de la culture. Pour beaucoup, Perpignan a été une ville de refuge. « C’est la commune française qui symbolise la lutte contre le francisme », assure José.
Une vie de réfugiés
« L’indépendance de la Catalogne n’est pas seulement une indépendance économique. L’Histoire nous a laissé une certaine rancœur. La Catalogne a été oubliée pendant plusieurs années », clame Marie Rose. Habillée d’un long manteau noir et d’une écharpe rouge, elle cache ses mains dans ses poches et essaie de se réchauffer. Elle est assise sur cette chaise depuis tôt le matin pour vendre des prospectus sur l’Histoire de la Catalogne, qu'elle a écrite elle-même. « Je suis épuisée », assure-t-elle avec une voix si enjouée qu’il est difficile de la croire. Agée de 83 ans, la Catalane fait figure d'encyclopédie. Née dans un petit village catalan près de Barcelone, elle avait 5 ans lorsque le Général entre dans Barcelone. Son père travaillait au sein de la Generalitat de Barcelone au moment où Franco renverse le pouvoir en 1936. « C’était un dimanche. Je me souviens que la servante m’avait habillée pour que je puisse jouer dehors avec mon frère. Il y avait ce papillon qui m’intéressait. Du jardin, j’entendais des coups de feu. Je me suis baissée près d’une fleur pour approcher le papillon et à ce moment, une balle a fissurer le mur à la hauteur où je me trouvais quelques secondes plus tôt. Le papillon venait de me sauver la vie ». Son père, républicain et catalan, est expulsé. Arrêté, il est enfermé au camp d’Argelès-sur-Mer avant de fuir à Perpignan. Marie Rose et sa famille s'exilent à Toulouse. « La bas, les occitans m’ont bien accueilli. Je suis allée à l’école et je pouvais parler catalan avec ma mère devant tout le monde. Nous étions libres », se rappelle-t-elle. La famille se retrouve finalement à Perpignan. Mais la ville du sud ne leur réserve pas le même accueil. Les écoles, qui accueillent des milliers d’espagnols de la Retirada, s’opposent à la langue catalane. «Les professeurs nous forçaient à ne pas parler catalan ; Un jour, ma mère m’a parlé notre langue devant des copines. Je l’ai supplié de ne plus le refaire, j’avais honte ».
Un rêve de grand-mère
Au fil du récit de Marie-Rose, un petit groupe de personnes s’est formé autour de sa chaise. Chacun a lui aussi son histoire ou celle d’un parent à raconter. Français, Espagnols… Même les plus timides sortent des photos de famille, relatent des anecdotes, se rappellent leurs villes d’origines... Beaucoup ont découvert la vérité tard. C’est le cas de Marie-Lou. Elle a mis du temps avant de réussir à raconter son histoire. « C’est une Espagne qui fait encore mal et qui est dur à avouer ». Fille de réfugiée, Marie-Lou a vécu en exil en France pendant la guerre. « Mon père était résistant. Il a été tué quand j’avais 17 ans, mais comme beaucoup de familles, je ne l’ai su que très longtemps après ». Aujourd’hui âgée de 64 ans, elle a obtenu la double nationalité française et espagnole. « Pourtant, je ne me sens pas espagnole. Le catalan est pour moi une langue maternelle. J’ai appris l’espagnol seulement pendant mes études à Paris », affirme Marie-Lou. Assise sur sa chaise, Marie Rose écoute et complète les dates ou les noms des politiques dont ne se souviennent pas les autres. Elle regrette que beaucoup de personnes de son âge ne se soient pas déplacés pour voter. « Ils n’osent pas se prononcer par peur de représailles. Beaucoup ont déjà perdu des parents, des oncles, des enfants… ». Et si la Catalogne devient indépendante ? « Je resterai ici, je me sens plus proche des gens ». Un de ses amis vient d’apporter un drapeau catalan. Marie Rose se lève avec agilité et dévoile une longue silhouette. A 83 ans, elle rêve encore de pouvoir un jour tourner la page sur les années du franquisme. L'unique solution pour elle, comme pour beaucoup de catalans, c'est l'indépendance. Debout devant la porte d'entrée, elle lance avec ferveur :« Cette fois, c’est le moment ou jamais, c’est l’avenir ! »
Marie Demeulenaere