Entre guerre et paix
PORTRAIT. Originaire de Damas, la capitale de la Syrie, Bassel Dawod participe aux programmes d’échange Erasmus Mundus et PEACE, à l’Université de Perpignan Via Domitia. L’étudiant en langue et littérature française rêve de continuer ses études en France l’année prochaine.
Le 8 mai 2013 restera une date gravée dans la tête de Bassel. C’est le jour où il a appris qu’il était accepté aux programmes d’échange étudiants Erasmus Mundus et Peace, deux programmes d’échange prestigieux organisé entre autres avec des pays du Moyen-Orient. Autrement dit, il allait devenir un étudiant français le temps d’une année. Passionné de littérature, le jeune homme de 23 ans a une voix calme, un français parfait, presque littéraire. « la France a toujours été ma destination privilégiée».
Passionné de littérature
Il commande rapidement un café et s’assoit en plein soleil d’une terrasse, place de la République. Avec son Tee-shirt noir, ses épaules carrées, et ses yeux sombres, Bassel a le regard des durs à cuire. Mais un sourire naturel efface ce regard. Il l’avoue, c’est un littéraire, un romantique. Il raconte sa première anecdote en souriant : « Lorsque je suis arrivé à Perpignan, je n’avais pas de quoi payer en euros sur moi, seulement des dollars. J’ai dû passer la nuit dehors », s’exclame le jeune en riant. L’histoire pourrait s’arrêter là, des milliers d’étudiants du monde entier participent à des programmes d’échanges chaque année. Sauf que Bassel Dawod a plus qu’une anecdote à raconter. Syrien, le jeune étudiant en langue et littérature française vient de passer trois ans sous les bombes.
« Je me souviens du premier bombardement »
Lorsqu’en 2009, il commence ses études sur les bancs de l’université de Damas, la ville est à l’image de la Syrie: calme. « Nous vivions sans soucis. Jamais je ne me serai imaginé que mon pays puisse devenir violent ». Pourtant, la Syrie sombre dans le chaos et devient en quelques semaines, un triste exemple. Les combats qui débutent à Homs en 2011, se propagent très vite. En 2012, la capitale syrienne est sous le feu des bombes, la ville se divise entre l’Armée Syrienne et les opposants « Je me souviens du premier bombardement… C’était terrible. De mon balcon, je pouvais voir les échanges de tirs deux kilomètres plus loin », se rappelle le jeune syrien.
Comme tout le monde, le quotidien de Bassel est d’éviter les bombardements de mortier. « Ça se passait par étapes, par quartiers. On savait en direct ce qui se passait ». Bassel continue d’étudier. « On s’habitue à tout. Mais les kilomètres qui nous séparaient des combats sont devenus des mètres…
Puis un jour un mortier est tombé à 200 mètres et ça ne me choquait même plus… ». En janvier 2013, la famille de Bassel déménage dans un quartier plus sûr. Un jour, Bassel remarque l’appel de candidature sur Facebook. Il envoie ses papiers un peu par hasard. « J’ai postulé pour Perpignan. Je ne connaissais pas la ville. Tout ce que je voulais, c’est venir étudier en France. Puis j’ai oublié, la vie continuait ». Quelques mois plus tard, il reçoit un mail du programme d’échange. Il est accepté. « Au début, je n’y croyais pas ! Mais j’ai reçu un courrier recommandé deux semaines plus tard ». Si une lettre recommandée peut arriver jusqu’en Syrie, c’est donc possible pour Bassel d’en sortir.
Six allers-retours au Liban. Commence alors une véritable course contre la montre. Le programme débute en septembre. Pas besoin d’être un grand voyageur pour imaginer les dizaines de papiers nécessaires pour partir. Bassel doit renouveler son passeport, se procurer une carte Campus France par le ministère des affaires étrangères… Et puis bien sûr, obtenir son Visa.
Un Graal car sans ce précieux sésame, pas de voyages. Il n’y a pas d’ambassade de France en Syrie. L’étudiant doit se rendre au Liban. La route entre Damas et Beyrouth appartient au régime syrien, mais les nombreux barrages coupent la voie tous les deux kilomètres. « Il fallait parfois rouler 15 heures pour se rendre à la frontière. Ensuite, je devais attendre des heures à la frontière libanaise pour pouvoir rentrer à l’intérieur du pays ». En tout, il effectuera six allers-retours entre les deux pays. Finalement, il reçoit un mail. La réponse de son Visa est arrivée, il doit retourner à Beyrouth pour la connaître. Nouveau départ, ce sera le dernier. En ouvrant l’enveloppe scellée, Bassel découvre son Visa. Il est tellement content qu’il oublie son téléphone portable à l’intérieur du taxi qui le ramène à la frontière libanaise. « Je m’en fichais. Tout ce qui comptait, c’était que je pouvais partir ». Nous sommes le 5 septembre. Dix jours plus tard, il décolle de Beyrouth, direction Paris. Il n’est pas possible de décoller de Damas, seulement trois destinations sont desservies : l’Iran, la Russie et l’Algérie…
« Je suis chanceux »
Depuis, l’étudiant vit dans un appartement sur le campus de l’université. Ses voisins sont Tchèques, Espagnols, Italiens… Il a connu les joies de la vie d’échange étudiants. « Pour quelqu’un qui a vécu la guerre, j’ai beaucoup aimé le calme de Perpignan. Puis j’ai redécouvert les soirées étudiantes, la colocation, les amis… ». Le Syrien a laissé sa famille à Damas : ses parents, trois frères et deux soeurs. « Ils sont contents pour moi et je continue à avoir des nouvelles grâce aux réseaux sociaux. Je suis chanceux, continue le jeune homme. 18 millions de Syriens aimeraient partir et vivre leur vie ailleurs. Moi, je profite de tout ». Bassel reviendra dans son pays, mais quand il sera en paix. « Je veux vivre ma vie de citoyen. Cette année m’a appris beaucoup de choses, comme de ne surtout pas croire aux préjugés. Mais j’ai aussi appris que je pouvais aider mon pays d’une autre manière qu’en prenant les armes ». Oui mais voilà, en juin prochain, le programme d’échange de Bassel se termine et l’étudiant doit faire vite pour réussir à être accepté dans un autre échange étudiant. Car revenir dans son pays est devenu impossible, trop risqué, car il ne sera plus considéré comme un étudiant. En terminant son café, le Syrien ne cache pas son ambition. Il rêve de finir ses études à l’université de Lyon. Il se voit déjà traducteur dans un média franco-arabe, grand diplomate à la commission européenne.
Repères
2009 : Bassel commence ses études de littérature et de langue française à Damas
Mars 2011 : Début des conflits à Homs.
Mai 2013 : l’étudiant est accepté pour participer aux programmes Eramus Mundus er Peace.
Septembre 2013 : début du programme à l’Université de Perpignan.
Marie Demeulenaere